Je suis un produit de 1990

2020, cette année je vais fêter mes 30 ans. Après ces 3 décennies, je reste malgré tout encore fidèle à l’époque où je suis né. Dans mon enfance, je connaissais encore ces rues pleines de vie, où l’on allait s’amuser avec les copains dans la nature, où l’on découvrait avec émerveillement les derniers jeux vidéo de salon… Nous avions une famille, il y avait du bonheur dans l’air, des traditions, le respect de nos anciens. Peu importe d’où l’on venait, quand nous étions petits, nous étions tous amis à l’école. A Baho, mon petit village près de Perpignan, les différences importaient peu et à chaque fête d’anniversaire nous étions nombreux. On pouvait encore parler catalan sans en avoir honte, danser la sardane et partager de bonnes cargolades après les vendanges. Tout le monde se connaissait à Baho, c’était une belle petite communauté de quelques milliers d’habitants. Rien n’était parfait, mais nous étions biens malgré tout. Malheureusement, ma génération a connu une transition qui a mis fin à une époque qui avait préservé encore quelques valeurs. Après nos 10 ans, il y a eu une fracture immense. En l’an 2000, nous pensions que le futur était beau, grand, magistral. Puis un jour nous nous sommes réveillés la tête engourdie dans “le meilleur des mondes”, celui que l’on ne pouvait plus contester, celui qui allait peu à peu détruire tous nos rêves. Ma génération s’est perdue, entre le monde d’avant et celui de maintenant, comme si le nouveau millénaire l’avait absorbé. Alors de mon point de vue, j’aimerais vous partager mes réflexions sur ce cru de 1990 à travers ce que j’ai vécu.


La force d’une famille

Je me souviens encore de la douceur de mon enfance. J’ai eu la chance de naître dans une famille qui avait du cœur à défaut d’avoir beaucoup d’argent. Tous les dimanches, nous mangions ensemble, plusieurs générations réunies autour d’une même table. C’était vivant, tout le monde se parlait, même si personne n’était peut-être pas toujours d’accord. Les plus âgés chantaient et on ne se posait pas la question de savoir s’ils avaient une belle voix ou non. Ils mettaient l’ambiance, ils étaient vraiment heureux et pour eux, leurs enfants et les petits enfants étaient leur plus grande fierté. Dans nos assiettes, il y avait de bons repas, des petites douceurs du champ et de la bonne viande du boucher. Nous mangions très bien, trop bien même. Nos grands-parents ont connu des époques plus dures et n’ont pas toujours su se poser des questions sur leur consommation. Alors, chaque repas était festif. D’ailleurs, je me souviens de ces chariots plein de nourriture. De plus, ma mère ne se plaignait pas vraiment de la note quand elle arrivait en caisse pour payer. 

Mes camarades d’école avaient eux aussi leurs rassemblements familiaux, ces instants conviviaux. En soit, c’était cela la norme dans nos campagnes. Il y avait un côté sacré le dimanche, pas seulement pour aller à l’Église mais pour ce privilège de se réunir en famille. Même les chamailleries faisaient partie du charme de ces repas dominicaux. Combien de fois nous étions déçus du comportement d’un tel parce qu’il s’emportait pour un rien ? Même enfant, on pleurait parfois à cause des disputes de nos anciens. Finalement, les grands n’en retenaient que la joie et les discussions agréables, les petits étaient heureux d’avoir mangé les bonnes choses de la grand-mère. C’était longtemps comme cela chez moi. Il y avait aussi le bonheur de retrouver les cousins, le plaisir d’écouter les plus âgés et faire quelques clowneries pour attirer l’attention des parents. Nous recevions souvent des membres de la famille et nous aimions aussi aller chez eux.

Déconnexion au fil du temps

Vivre ensemble n’était pas si difficile auparavant. Toutefois, l’air du temps allait changer avec l’arrivée d’internet. Même si j’adore toute la technologie que nous avons développée depuis ces dernières années, je suis aussi conscient qu’elle a balayé une part de notre humanité. Les jeux vidéo avaient vraiment une grande place dans nos vies d’enfant mais ils nous rapprochaient vraiment avant d’être multijoueur en ligne. En effet, on aimait jouer ensemble, donc, on se réunissait chez les copains pour partager des après-midis devant la Megadrive ou la Nintendo 64. Malgré notre côté geek, cela ne nous a pas empêché de jouer dehors, de construire des cabanes, de faire des tours de vélo et nous embarquer dans des petites aventures loin de nos maisons. Puis, après le collège, il y a eu la grande vague des jeux massivement multijoueurs. Encore que, dans les premiers temps de World Of Warcraft ou de Dofus, les joueurs savaient qu’il fallait se réunir pour aller loin dans le jeu. Puis, au fur et à mesure, c’était difficile de créer une guilde, de rassembler plusieurs joueurs, d’avoir des personnages pour soigner les autres. Il y a eu progressivement cette nouvelle mentalité où tout le monde voulait être le meilleur, faire le plus de dégâts, avoir le top des équipements, avancer seul dans l’histoire alors qu’il s’agissait d’un jeu massivement multijoueur. En soit, on négligeait peu à peu ce vrai plaisir de s’amuser et de partager ces instants avec les autres joueurs. La compétition a pris le dessus sur le plaisir qu’apporte à l’origine l’art vidéoludique. Bien sûr, ce ne sont pas les jeux vidéo qui ont transformé les joueurs, c’est la société qui avait changé et celle-ci les a donc changés aussi. 

La période MSN, les premiers textos. Le téléphone portable dans la main de tous les jeunes. A ce moment-là nos relations avaient pris un autre tournant. Dans cette nouvelle ère, les moyens de communication se sont développés. Pourtant, on ne communique plus vraiment entre nous. Cela entraîne bien évidemment le fait que l’on peine à se comprendre puisqu’on ne s’écoute plus. Entre elles, les générations ne savaient plus comment se parler. Puis, les repas en famille sont devenus rares. Un dimanche, nous sommes restés à la maison. Je me rappelle encore de ce changement. Ce n’était plus aussi important. 

Avant, nous savions que le fait de nous réunir était avant toute chose une norme sociale. C’était à l’image de notre instinct, de notre vraie nature. Pourtant, les bars du village se sont vidés peu à peu. Puis, c’était fini les bornes d’arcade et les flippers. Les associations donnaient encore de la vie à la commune mais ce n’était plus pareil. Les liens humains se forgent avec une certaine régularité et une communication constante. Il faut de la présence dans la vie des autres pour créer des vraies relations. Or, depuis quelques années, nous faisons tout le contraire. Aujourd’hui, on a tendance à oublier d’entretenir nos relations, comme si nous étions devenus fainéants. Le lien avec les autres, c’est comme une plante à arroser. A un moment donné, elle meurt si elle n’a plus assez d’eau ou de soleil. Se rassembler et vivre des bons moments semblent maintenant dérisoires. Beaucoup d’entre nous ont accepté que ces moments conviviaux sont tout simplement de l’histoire ancienne. Un nouvel adage se formait déjà de façon insidieuse : “mieux vaut vivre seul que mal accompagné”. Des divorces en masse, Baho devenu un village dortoir, un peu plus de pauvreté… 

En arrivant au collège, je me suis rendu compte que je vivais une transition personnelle et avant d’être au lycée, j’avais déjà remarqué qu’il y avait un changement global dans la société.

Traverser les âges

Avant l’amour, il y a eu déjà de la souffrance, du primaire au collège j’étais constamment rejeté. Autour du jeune collégien que j’étais, mes camarades changeaient drastiquement et les relations se complexifiaient. De plus, en moi, ça chantait et je ne pouvais pas me taire. Je voulais toujours créer, écrire, inventer des jeux. En somme, je refusais de “grandir” à l’image de ce monde qui perdait son âme, je ne voulais pas être cet état d’adulte qu’on m’imposait. D’une certaine façon, je pense avoir compris ce que disait Picasso : “grandir est un piège”. Tous les autres de mon âge, ou presque, voulaient accélérer leur croissance, faire partie le plus vite possible de la cour des grands. De mon côté, je cherchais à préserver quelque chose qui avait façonné mon enfance, sans même le savoir ni même le comprendre.

A l’âge de 15 ans, j’étais amoureux. De cet amour, j’ai ouvert les yeux sur le monde. Au début, je n’ai vu que beauté. De ce fait, j’étais en contradiction avec une certaine réalité, surtout de ces discours sur notre système social, notamment ceux qui aiment à dire qu’il faut souffrir pour réussir et se faire une place. J’ai souffert quand j’ai vu les barrières que l’on mettait devant moi alors que je voulais juste exprimer le bonheur qui m’animait. Je n’étais pas en phase avec mes camarades de classe. J’avais aussi une période patriotique quand je disais que je me sentais catalan, je subissais régulièrement des moqueries. Même des amis proches sont devenus virulents quand j’assumais simplement ce que j’avais choisi d’être. On parlait de liberté d’expression mais seulement si on ne dépassait pas certains cadres. En outre, j’avais mal en voyant la misère que le système politique en général engendrait. De plus, j’avais de la colère, je ne comprenais pas pourquoi à l’école on me parlait d’un grand pays, d’une France magnifique alors que dans l’ensemble, c’était une sorte de religion où il fallait croire sans réfléchir aux rouages des institutions. 

Maladroitement, j’ai commencé à me battre contre les mensonges promus par un pays qui, en plus de cela, méprise et détruit encore la culture de mes ancêtres catalans. Mon cœur se remplissait de haine quand je voyais ce “semblant de liberté” et cette “fausse fraternité” qui n’avait plus de sens quand l’argent ou le pouvoir entraient en jeu. Même ma famille ne me comprenait pas et j’ai dû faire le choix de m’éloigner de ceux qui m’avaient pourtant appris à vivre dans l’amour. Par amour, je ne pouvais pas me laisser détruire, je ne pouvais pas me résigner à oublier mon humanité. En outre, comme j’étais le fils d’un agriculteur, j’étais sensible à tous les sujets concernant la nature. Pour quelques-uns, j’étais un paysan. C’était une façon pour eux de m’insulter, parce que les idées véhiculées par le modèle social donnait une image négative et rétrograde de la campagne. Je voyais simplement que le monde qui m’entoure perdait de sa saveur et qu’il y avait beaucoup trop d’artifices pour être en paix. Pendant une certaine période, je ne voulais même plus sortir de chez moi.

Il fallait être dans le moule pour être accepté, porter de beaux habits, marcher d’une certaine façon, penser comme la majorité des gens… ne pas être trop différent en somme. Il ne suffisait plus d’être soi-même, comme dans la cour de récréation de mon petit village. Il fallait ajouter d’autres choses à nos comportements. Beaucoup de jeunes se rejettaient les uns les autres pour des questions superficielles et surtout au nom du culte de l’apparence. Ils se faisaient tant de mal ! Certains se laissaient transformer pour pouvoir rentrer dans le groupe. Car oui, on a besoin d’être reconnu, d’être accepté et on ne peut pas se détacher complètement des autres. En effet, cela est important sur l’échelle de Maslow, toutefois, quand le cadre est mauvais, suivre un groupe défaillant devient dangereux pour un individu. Il y a toujours une part de sacrifices quand on comprend qu’il faut se faire une place dans le collectif mais cela ne doit pas effacer ce que l’on est. S’oublier pour plaire aux autres, au début le “deal” semble même incontournable mais tôt ou tard, on se réveille. Ces jeunes qui ont voulu faire comme les autres, pour être “cools”, sont devenus grands et on sans doute comprit aujourd’hui que c’était peut-être idiot de fumer, de suivre le caïd du village ou se mettre une tonne de maquillage pour masquer au final les petites filles heureuses qu’il y en avait en elles.

De tout cela est né mon chaos, mais en même temps, mon éveil. Au milieu de la cour du collège, je ne me faisais pas entendre, je ne trouvais pas ma place et j’ai cherché ailleurs. J’ai donc plongé dans la culture geek avant d’écrire des réflexions. De cette façon, j’ai voulu encore une fois me préserver, je voulais rester à l’image de ma nature et continuer à m’émerveiller quand mon entourage se laissait façonner pour devenir plus vite des “adultes”. Il y avait comme une substitution de la vie, je jouais à des jeux pour vivre les expériences que je ne pouvais plus vivre en société. Malgré cet isolement, j’avais l’envie de dire qui j’étais et j’essayais tant bien que mal de m’exprimer. Avec mon caractère, je ne me laissais pas pour autant totalement écraser. Petit à petit, j’allais forger cette envie d’écrire pour essayer de comprendre ce que je vivais ainsi que ma force pour monter sur scène et me faire accepter du public.

L’amour d’y croire encore

Plus je grandissais et plus je voyais des gens qui me jugeaient sur le simple fait que j’aimais parler de la vie et de la philosophie, que j’écrivais de la poésie, que j’étais un romantique. J’avais beaucoup de respect pour les valeurs sur l’amour, j’avais une vision très naïve mais c’était beau quand j’y pense. J’aimais tellement cette fille au collège que j’étais prêt à tout pour elle. En soit, je voulais la traiter comme je voulais que l’on me traite. Mais mes idées ne résonnaient pas en elle et c’était dur de se comprendre, elle n’était pas prête à partager mon point de vue. Même là, vivre une belle histoire de cœur était compliquée. Cette nouvelle société qui se mettait en place au début des années 2000 brisait cette richesse qu’il y avait à simplement s’aimer. Sans communication, pas de compréhension, donc pas facile d’aimer ainsi. En outre, on se disait qu’il y en avait d’autres, comme pour un mouchoir jetable, “si ça ne marche pas avec cette personne, je passe à autre chose”. Plutôt que de réparer (ou se réparer), on préfère alors en général chercher ailleurs. Il est devenu facile de tourner les pages, sans trop faire attention aux dommages émotionnels que l’on peut causer. L’amour ne durait plus que 3, 2, 1, 0 années. Et pour les plus sensibles comme moi, c’est devenu un sport olympique pour apprendre à se relever de la fin d’une relation amoureuse. Au milieu de tout cela, j’étais quand même impressionné de voir certains couples qui vivaient vraiment ensemble, ou encore les belles amitiés qui duraient.  

De l’université à mes années en tant que président d’une association d’artistes, je sentais que l’amour que j’avais en moi se tarissait au fil du temps. Se battre pour un monde meilleur devenait épuisant. Surtout quand la personne que j’aimais ne faisait pas l’effort de respecter mon opinion. Surtout quand on n’a pas toujours l’aisance de capter les foules ou de contrôler aisément ses émotions. De nature sensible, j’avais du mal à bien me faire comprendre, laissant apparaître un peu trop ce que généraient mes passions. Face à tant d’idioties, je n’arrivais pas toujours à construire mes raisonnements. Toutefois, je me battais avec toute mon énergie et je pensais vraiment que je pouvais changer quelque chose, avec l’art notamment. Si je ne pouvais pas parler à ma génération, je me disais que je pouvais les toucher autrement. Mais après le premier amour, je me perdais dans diverses histoires de cœur, coincé dans un idéal romantique qui ne semblait plus être à la mode. En réalité, je perdais mon temps au lieu de mener à bien mes projets. 

Mes passions restaient fortes malgré tout. A chaque fois que j’échouais, j’apprenais. Je me faisais plus raisonnable, mais en même temps, j’accumulais des blessures émotionnelles, des déceptions importantes et j’ai fait face à de terribles épreuves. J’ai refait mille fois les mêmes erreurs pour comprendre enfin que je devais consolider mon esprit, ma confiance et mon amour propre. Je suis tombé bien bas en agissant à l’image des gens que je qualifierai de “sans amour” (que j’attire régulièrement). Certes, certains me diront qu’ils ont connu pire que moi mais qu’ils se rassurent, je leur laisse le monopole de la souffrance s’ils le souhaitent. Toujours est-il que j’ai perdu parfois mon humanité car j’ai cédé au mal que je subissais ; j’acceptais en soit qu’on m’en fasse car je me laissais toucher par ses méfaits.

Vivre en idiocratie

Quand on vit dans un monde de fous, ce sont les fous qui vous raisonnent. Je croisais trop souvent des personnes qui voulaient m’imposer cette vision conforme de la vie : “c’est comme ça, faut s’adapter”. A vrai dire, il est rare que je ne dise pas ce que je pense et forcément j’ai fréquemment créé des débats. En soit, je nageais à contre-courant et je le faisais bien comprendre. Un jour, quelqu’un d’un organisme social m’avait dit que l’on ne peut pas dire toutes les choses comme on les pense vraiment. Là, j’avais encore une fois la preuve que la société n’était même plus en phase avec les valeurs qu’elle prônait à l’école. Je revendiquais haut et fort que je ne voulais pas me ranger dans les rangs, non pas par simple rébellion mais par respect pour des valeurs fondamentales et pour l’être humain que je suis. Je n’ai jamais voulu servir autre chose que ce que mon coeur trouvait juste. Les rares fois où j’ai dû faire les choses sous la contrainte, c’était parce que je me disais que c’était un mal nécessaire, qu’il fallait passer par là pour atteindre mes objectifs. 

Avec mes projets artistiques, j’ai rencontré beaucoup de gens autour de Perpignan. Dans le lot, il y avait souvent ces personnes d’un certain âge qui pensaient tout savoir. Dans l’ensemble, beaucoup de ceux-là n’étaient pas heureux au fond d’eux-mêmes. Pourtant, ils me parlaient de cette façon de vivre qu’il faudrait accepter sans réfléchir. Le même discours virulent que j’entendais : “travailler, gagner sa vie et s’adapter”. Or, je pensais et je ressentais la vie différemment et je ne voyais pas pourquoi je devais leur ressembler. 

J’ai toujours eu de l’imagination et je savais que j’avais un don. Je voulais l’exploiter. J’ai toujours été un rêveur, je me fais des films et des séries entières avant de plonger dans un sommeil profond. Depuis toujours, je veux créer, parler de mes rêves dans des histoires, en faire des fictions. Cela n’a jamais été une simple envie, c’était surtout et c’est toujours un besoin que je qualifie de spirituel. Bien avant de me servir de l’art, pour extirper d’une certaine façon le mal que la vie me faisait ou pour partager mes idéaux, je reproduisais avec les briques de construction Lego ce que je voyais dans mes rêves. Quoi qu’il en soit, à force de recevoir autant de critiques, je donnais parfois raison aux détracteurs qui voyaient en moi un petit “emmerdeur” qui ne réfléchissait pas comme eux. J’ai abandonné tant de projets parce que j’ai écouté les mauvaises personnes. J’ai même essayé de travailler, trouver un job pour qu’on me “foute” la paix. Bien sûr, tout cela était un échec car je n’étais jamais assez bon pour les recruteurs ou je me rétractais au dernier moment. Je voyais l’arnaque de troquer mon temps de vie pour avoir une misère à la fin du mois. J’ai du mal avec ce concept qui consiste à dire que mes heures de vie valent 10€, 50€ ou 1000€ ; elles n’ont pas de prix pour moi. Le temps est bien plus précieux que tout ce que nous pouvons avoir et je veux honorer cette vie qui est en moi en faisant des choses qui ont du sens. Je n’ai pas peur de dire que je suis contre cette facette du monde du travail, surtout si cela restreint notre nature ou notre humanité comme le fait le système capitaliste. Toutefois, j’aime ceux qui s’activent intelligemment pour améliorer la vie des autres. Toutefois, je comprends aussi que l’argent est un moyen d’échange et qu’il peut être utile (je vends mon art après tout).

Quelquefois, je me suis laissé abattre par les discours dominants car ma confiance en moi s’était ébranlée. Il m’est arrivé de ne plus croire en rien. J’ai même fait l’erreur de croire qu’un rêveur devait réussir en gagnant beaucoup d’argent alors que ma seule réussite était simplement d’exister. D’année en année, la machinerie sociale se faisait plus puissante et de plus en plus de gens se disaient qu’il fallait chasser les rêveurs. Pour beaucoup, ce sont des fainéants, des gens qui sont loin de la réalité. Mais la plupart de ces gens-là ne savent plus rêver et ont peur au fond que leur monde ne soit en fait qu’une illusion. Or, oui, leur monde est un rêve. Don Miguel dans les 4 Accords Toltèques parlent même du “Rêve de la société”. Tout est un rêve mais il y a des rêves qui méritent d’être vécus et d’autres sont des cauchemars imposés par les autres. “Tu rêves !”, une expression qui veut dire que tu n’y arriveras pas. Pour notre société, rêver est devenu quelque chose de néfaste. C’est donc aller à l’encontre d’une des richesses de notre humanité et même de notre instinct animal puisque la plupart des animaux rêvent aussi. Chez les humains, les animaux pensants comme le disait Pascal, c’est du rêve que naît le fondement de toute chose. Alors pourquoi dénigre-t-on les rêves et les rêveurs ? Si les dirigeants de ce monde font penser aux gens que c’est mauvais de rêver, c’est parce que le rêve est aussi la solution pour se comprendre et savoir ce qu’il nous faut vraiment. Autrement dit, si rêver est mal vu c’est parce que le système social actuel l’a décidé, c’est parce qu’il serait plus facilement remis en cause. Un cauchemar n’est pas seulement là pour nous faire peur, il nous enseigne quelque chose, nous montre ce que l’on ne veut pas. Le rêve agréable permet aussi de savoir ce que l’on désire vraiment et donc peut inspirer à agir.

Heureusement, j’ai su toujours rebondir malgré de mauvaises rencontres. J’ai surtout eu la chance de parler avec des sages, des personnes d’expérience, des hommes et des femmes éveillés. Cela m’a conforté et m’a permis de garder espoir. Il y en a plein d’autres qui restent encore à l’image de leur humanité. Ils ne sont pas tous artistes, mais ils ont fait le choix d’écouter leur nature profonde. J’ai beaucoup d’admiration pour ces cultivateurs indépendants, ces docteurs qui croient en leur médecine et ces entrepreneurs qui veulent apporter du sens à leur société. Alors pour répondre à cet homme qui était à ma table lors d’un repas de fin d’année organisé par le Taekwondo de Baho (celui-ci a toujours été pour moi le modèle de cet individu qui a fait le choix de subir le cauchemar des autres) : non, vois-tu, je n’ai pas changé ; tu disais que j’allais mettre de côté mes idées rebelles et que j’allais m’adapter à la société. Tu t’es trompé. Aujourd’hui encore, je n’ai pas troqué mon humanité pour ce semblant de vie qui est contrôlée par des gens en manque d’amour. J’ai simplement évolué et affiné mes réflexions. Je continuerai de croire qu’on peut se plier à la nature mais pas à la vision de ce monde géré par des fous.

Perdu dans l’histoire

Les amis de mon âge se posent tous les mêmes questions. On a beau être dans des domaines différents, on sent bien qu’on a du mal à avoir une place confortable dans la société. Quelques-uns finissent par céder à la pression sociale qui pèse sur nos épaules, et ils vont travailler dans des jobs qui les “emmerdent” et qui les fatiguent moralement. Au fond, ceux-là sentent tous les jours qu’ils se font un peu avoir et qu’ils méritent mieux. Ils savent surtout qu’ils ne vivent pas en adéquation avec ce qu’ils sont vraiment. 

D’autres arrivent à trouver du sens dans ce qu’ils font et ont la chance de pouvoir faire ce qu’ils aiment tout en ayant une situation assez confortable. Malgré tout, dans cette catégorie-là, ces personnes ont beaucoup de peines et voient bien ce qui se passe dans notre système social. Je ne parle même plus des relations amoureuses qui me dépassent tellement que même moi je peine à croire qu’elles ont encore un sens. Du jour au lendemain, tout se termine vite et autour de moi, nous sommes tous plus ou moins célibataires. Même ceux qui ne réfléchissent pas trop, sont conscients de l’aigreur qui se dégage dans leur quotidien. Ce qui m’attriste le plus, c’est de voir la souffrance qu’il y en a dans le cœur de mes amis quand ils se demandent encore s’il y a de l’espoir pour changer les choses.

Auparavant, à 30 ans, on avait une situation, un rôle dans la société, une famille. C’était là un certain équilibre et avec du recul, je me dis qu’il y avait peut-être du bon dans tout cela. Or, beaucoup de ces trentenaires sont coincés à cause des difficultés financières et plus d’un comme moi, échoue dans le mariage ou dans une histoire de couple. Il y a un chaos général dans ma génération et on sent bien que notre histoire aura du mal à avoir de la place dans celle qui compose l’ensemble de l’humanité. Entre les anciens et les nouveaux enfants des années 2000, on est totalement perdu. Les parents ne nous comprennent pas et quand on regarde les gosses d’aujourd’hui, on se dit qu’on avait bien de la chance d’avoir eu encore de la bonne musique, des bons films et des idoles un peu plus raffinées. Ma génération commençait déjà à pourrir mais la suivante est totalement pourrie, déconnectée à cause d’une idiocratie croissante qui les forme au modèle semblable aux valeurs de la télé-réalité. Ces jeunes devaient être la transition, tout comme nous, mais ils sont conditionnés déjà à ne plus être que de vils consommateurs.

A chaque fois que je discute des heures avec mes amis, nous arrivons toujours à de terribles conclusions. Au fond, nous avons beau agir, on a peur de l’avenir. Quand je parle avec un ami scientifique, j’arrive souvent à éclairer mes pensées mais en même temps, on s’arrête toujours à des questions ouvertes car on sait que l’on dépend énormément de grandes puissances, des intérêts financiers et de ces quelques fous qui voudraient encore asservir les humains. On sait, malheureusement, que “le jour où l’amour du pouvoir sera surpassé par le pouvoir de l’amour, c’est là que tout changera vraiment”. Bob Marley avait du bon sens. En soit, le vrai problème que nous avons tous, c’est que nous ne vivons pas en paix, avec l’esprit tranquille. Chaque jour, il y a un nouveau problème. Les trentenaires sans un sous ne peuvent même plus espérer sortir de la précarité et même ceux qui travaillent doivent parfois aller au Resto du cœur. Avec les amis, on se demande souvent quel est le sens de ce “monde de merde” que nous avons.

Que reste-t-il à faire ?

J’ai 30 ans et je savais que la vie ne serait pas facile avec mes convictions et mes passions. Quand je regarde derrière moi, je ne regrette rien mais j’aurais voulu faire plus pour faire entendre la voix de ma génération. Quoi qu’il en soit, même mes plus grandes erreurs et mes plus grandes souffrances m’ont apporté de belles leçons. Je me les rappelle chaque jour pour avancer plus vite, pour partager plus vite mes rêves, pour toucher plus de gens. Cependant, il y a des jours où je m’arracherai les cheveux tellement je suis triste quand je vois où en est le monde d’aujourd’hui. A chaque fois que j’entends les nouvelles directives du gouvernement, j’ai envie de “vomir”. Ce qui est encore plus dur, c’est de supporter le discours de ceux qui aiment à être “esclaves” de leur condition sociale. C’est désolant de savoir que chaque jour est pire encore que le précédent. 

Certes, c’est dur mais je veux croire que je reste maître de mon destin. Parce que je sais que rien n’est définitif tant que l’on peut encore agir, je veux croire encore avec raison que le monde changera un jour. Je ne vivrais peut-être pas assez longtemps pour être en paix avec mon époque mais je voudrais semer de bonnes idées pour ceux qui viendront après moi. J’espère toujours connaître une grande époque où l’intellect humain s’ancrera enfin dans le bonheur de son essence, mais l’état actuel de notre société m’oblige à garder un sens logique à mes raisonnements : il faudra beaucoup de temps encore pour transiter vers ce stade d’évolution. Toutefois j’espère contribuer à l’idée d’un monde plus sain pour notre humanité, et ce, autant que je le pourrai. Quand on plante un arbre, ce sont les enfants qui profitent de son ombre. L’idée de la communauté, d’être ensemble, est pour moi le remède à de nombreux problèmes de notre société actuelle. Communiquer, partager des choses en commun, tout cela rime avec le mot communauté. Les mots peuvent être si magnifiques quand on découvre leur histoire et qu’on les rapproche.

Malgré toute la détresse financière que j’ai connu ces dernières années, je me sens riche. Sans un sous, mais je suis riche. Je veux croire en d’autres valeurs que l’argent. Quelquefois, je regarde autour de moi et je vois, au-delà de mon côté perfectionniste, bien des richesses. Pas de fausse modestie, le peu de choses que j’ai réussies, j’en suis fier. La vérité est là : ma vie est à l’image de mes choix et je m’efforce de vivre librement pour créer ce que j’aime. Heureusement, il y en a de plus en plus qui partagent cette idée. J’ai mes petites communautés, avec des joueurs, avec des amis de longues dates, avec des créateurs… Je veux vivre à l’image de mon amour et en offrir toujours plus chaque jour. La seule différence entre ces dernières années et maintenant, c’est que je ne veux plus me battre contre les fous. J’ai eu du mal à comprendre que cela me faisait juste perdre du temps. En effet, il est plus sage de mettre son énergie pour avancer avec ceux qui ont bien raison de donner un sens à leur humanité. De ceux-là, j’en fais aussi une communauté. Pour eux, je ferai l’effort de croire en moi, de développer toujours plus mes passions et d’offrir mon art à ceux qui cherchent à préserver leurs rêves. Même sans moyen, j’aurai toujours plaisir à rassembler du monde autour d’un bon repas, à l’image de ce que faisaient nos anciens. J’aime voir une table pleine, j’aime voir le sourire des gens, j’aime ce que ma famille m’a apporté quand j’étais enfant. Je cultiverai donc jusqu’à ma mort ce bonheur d’antan, autant que possible.

Loin d’être parfait mais parfaitement loin de me résigner à oublier d’où je viens. Je veux être humain et juste améliorer mes sens. Oui, parfois, je baisse les bras mais il suffit que je parle à un ami pour retrouver ma joie. Oui, parfois, j’ai de la colère, mais je retrouve mes esprits quand je partage un bon moment avec de belles personnes. Oui, parfois, je ne me sens pas à l’aise dans l’espace public mais j’essaye de me reconnecter aux autres au lieu de les fuir. Il y a du blanc dans du noir et du noir dans le blanc ; pour ces prochaines années, je tâcherai aussi d’utiliser toutes les forces positives ou négatives afin de garder mon cap. Je me laisserai le droit d’être à gauche. Même si l’idiocratie sévit toujours plus avec ses dérives, je ne m’empêcherai pas de développer mon intelligence pour enrichir mes réflexions. En phase avec moi-même, pour trouver la synergie avec les autres. J’ouvrirai encore et toujours les portes de mon cœur, même si certains et certaines les ont défoncé à coup de masse. Même si je ne suis pas toujours heureux, je savourerai encore les meilleurs moments. A 30 ans encore, mon bonheur est à l’image de celui que j’avais étant enfant, en phase avec ma nature profonde.

Le temps passe mais je suis toujours l’enfant de l’évolution qui ne demande qu’à pouvoir s’envoler.


Bien évidemment, mon expérience de vie est loin d’être la généralité de ceux qui sont nés dans les années 90. J’ai ici partagé un ressenti parmi tant d’autres. Toutefois, je pense que nous sommes nombreux à partager ce constat :  nous sommes loin de la belle vie que l’on s’imaginait étant enfants. Pour ma part, j’ai tenté de garder la force des valeurs de cette époque, avant les années 2000. Je pense les porter encore malgré les coups. “Il faut vivre avec son temps” est une expression qui me débecte car s’adapter à un monde en perdition sans le remettre en question n’est que pure folie ! On devait évoluer mais c’est tout le contraire, nous avons laissé des amoureux du pouvoir façonner nos existences. Je pense qu’on nous a volé notre histoire. Au-delà de la culture et des frontières d’un pays, les trentenaires de la Terre entière devraient pouvoir faire entrer notre humanité dans le XXIème siècle. J’aimerais simplement rappeler aux gens de mon âge que nous avons encore le temps de nous réveiller et d’agir pour un monde bien meilleur, d’avoir une place dans l’Histoire. Pour ma part, je suis un produit de 1990, issu d’une famille plein d’amour, d’un petit village qui avait une âme, d’une époque qui avait encore du sens. Je suis aujourd’hui un être humain de 30 ans qui revendique son droit à faire prospérer son humanité.